Remplacement ou travail dissimulé ? La décision du Tribunal Correctionnel qui interpelle
Dans une décision, non sans conséquence pour la profession, le Tribunal Correctionnel de Boulogne sur Mer, a jugé que l’appel régulier à une infirmière remplaçante est constitutif d’un travail dissimulé.
Poursuivie pour délit de Travail dissimulé
Initialement, une infirmière libérale a fait l’objet d’un contrôle d’activité de la CPAM. La CPAM reprochait notamment à l’infirmière mise en cause de pré rédiger des prescriptions médicales pour des soins chroniques, qu’elle soumettait par la suite à l’approbation des médecins prescripteurs qui signaient et tamponnaient celles-ci.
Face à ce qu’elle considérait comme un délit d’escroquerie à la CPAM, cette dernière a déposé plainte auprès du Procureur de la République. Une enquête a été diligentée mettant également en avant un appel régulier à une remplaçante pour faire face à l’obligation de continuité de soins.
L’infirmière mise en cause a alors également été poursuivie pour le délit de Travail dissimulé. L’URSSAF s’est constituée partie civile afin de solliciter la condamnation de l’infirmière aux cotisations sociales sur la base des honoraires bruts versés à la remplaçante, assortie d’une pénalité de 25% sur la base du montant total des cotisations.
Pourtant la situation de l’infirmière libérale mise en cause correspond à celle de beaucoup d’infirmières libérales exerçant en zone surdotée. Etant la seule titulaire de son cabinet, et pour faire face à son obligation de continuité des soins pendant ses périodes d’indisponibilité, elle a fait appel à une remplaçante, faute de pouvoir prendre l’attache d’un infirmier collaborateur, ou d’une associée. De même, elle signait des contrats de remplacement d’une durée de 3 mois, sur la base du modèle proposé par l’ONI, qu’elle adressait au CDOI. Pour sa facturation, elle facturait les soins avec la carte CPS de la remplaçante, et rétrocédait les honoraires sur la base des bordereaux Noémie. L’infirmière remplaçante disposait de sa liberté de travailler avec d’autres cabinet, ce qu’elle a refusé. Mieux, dès lors que cela a été possible, l’infirmière remplaçante a obtenu un conventionnement sur le secteur afin de prendre la qualité de collaboratrice. L’infirmière remplaçante s’est toujours acquittée de ses cotisations sociales auprès de l’URSSAF.
Mais, pour les services de l’URSSAF et du procureur de la république, le mal était fait et ils ont poursuivi l’infirmière libérale remplacée pour Travail dissimulé.
Décision du Tribunal correctionnel
Dans sa décision du 14 janvier 2025, le Tribunal correctionnel de Boulogne sur Mer a relaxé l’infirmière poursuivie du chef d’escroquerie pour la rédaction des prescriptions médicales. Cependant, il l’a condamné à 5 mois de prison avec sursis et au remboursement des cotisations sociales pour le Travail dissimulé.
Les juges retiennent notamment, que dans cette situation l’infirmière remplaçante ne disposait pas de la possibilité de développer sa patientèle (Malgré le fait qu’il soit signalé à l’audience qu’un infirmier remplaçant ne peut pas, par nature développer sa patientèle), et que celle-ci intervenait régulièrement pour l’infirmière remplacée. Ainsi, la relation entre les deux infirmières s’apparentait à une relation de collaboration, à travers laquelle la remplaçante ne pouvait pas développer sa propre patientèle. Les juges ont également repris dans leur argumentation que la relation entre les deux infirmières ne pouvait pas être une relation de remplacement puisque le code de la santé publique rappelle dans son article R.4312-83 « Un infirmier ne peut se faire remplacer que temporairement par un confrère avec ou sans installation professionnelle (…) ».
En conséquence, le Tribunal Correctionnel a caractérisé le délit de Travail dissimulé, en raison de la récurrence du contrat de remplacement.
Remise en question du statut de remplaçant
Cette décision est bien évidemment critiquable dans la pratique, car les Idel travaillant en zone sur-dotée se retrouvent contraints entre leur obligation déontologique de continuité des soins, et l’impossibilité pour eux de faire appel à un infirmier bénéficiant d’un conventionnement. La seule solution reste donc les infirmiers remplaçants. Or, c’est une sérieuse remise en cause de cette solution que vient d’apporter la décision du Tribunal Correctionnel de Boulogne sur Mer.
En synthèse, à suivre le raisonnement du Tribunal et de l’URSSAF, la possibilité de faire appel à un infirmier remplaçant est possible, or il convient de ne pas faire appel au même remplaçant sur une trop longue période, mais bien sur des courtes périodes d’indisponibilité. Il faut également que celui-ci puisse réaliser des remplacements pour d’autres cabinets afin de respecter son indépendance professionnelle, et échapper à toute caractérisation d’une régularité dans sa relation avec le titulaire.
En toute hypothèse cette solution, peut se heurter à une réalité de terrain parfois difficile, face au manque de remplaçants ou aux difficultés d’organisation.
Naturellement, il a été fait appel de cette décision, et il appartiendra à la Cour d’appel de reconsidérer la position du Tribunal Correctionnel, afin de ne plus faire peser une épée de Damoclès sur la tête des infirmiers titulaires en zone surdotée, dépourvus de solution. Dans l’attente, nul doute que la question du statut des remplaçants en zone surdotée sera à repenser…
Article rédigé par Thony THIBAUT
Cabinet BOLZAN AVOCATS
Le Sniil se mobilise Alerté par cette décision du Tribunal Correctionnel, le Sniil s’est immédiatement mobilisé en interpellant les acteurs concernés. Ainsi, nous avons pu entamer des travaux avec l’Ordre National des Infirmiers concernant le statut de remplaçant. Le Sniil a également interpellé ses relations à l’URSSAF afin de pouvoir s’assurer que de telles situations ne se reproduisent pas. De nouvelles réunions sont à venir sur ce sujet qui représente une priorité pour notre syndicat. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des évolutions. |