Sylaine Mazière-Tauran : « L’exercice libéral est indispensable au fonctionnement de notre système de santé actuel »

Elue à la tête de l’Ordre National des Infirmiers (ONI) en avril 2024, Sylvaine Mazière-Tauran nous a accordé un entretien exclusif à travers lequel nous avons pu aborder sa vision pour l’avenir de l’exercice libéral.

Tout d’abord, revenons sur votre élection. Quels sont les éléments qui vous ont incité à prendre la présidence de l’Ordre dans un contexte si particulier avec la réingénierie de la profession ?

En tant que secrétaire générale du précédent bureau, j’étais déjà très engagée et motivée pour promouvoir notre belle profession. Après ces trois années passées au bureau de l’Ordre, et alors que l’ancien président n’était plus éligible, j’ai souhaité poser ma candidature pour poursuivre mon engagement envers les infirmières. De plus, avec une profession qui est à 90% féminine, je trouvais intéressant de pouvoir proposer une candidate à la présidence face à deux autres candidats masculins.

Nous l’avons évoqué, le contexte est particulier avec la réingénierie de la profession, qui a été stoppé suite à la dissolution de l’Assemblée nationale. Avez-vous pu prendre connaissance des premiers travaux sur ce texte ?

Oui, peu de temps après mon élection, j’ai été contactée par Frédéric Valletoux, ancien ministre de la Santé, à propos de la réingénierie de la profession. Nous avions donc travaillé sur la proposition de loi qui allait être déposée par la députée Charlotte Parmentier-Lecoq au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, cela s’est joué à un jour près. Bien sûr, nous sommes convaincus de la nécessité d’un tel texte législatif pour définir la profession. Désormais, nous allons à nouveau être en mesure de retravailler et de porter le sujet afin qu’il puisse aboutir.

Quelle impulsion souhaitez-vous donner à l’Ordre grâce à votre arrivée à la Présidence ?

On peut dire que ma marque de fabrique, en tout cas c’est l’objectif que je me suis donné, c’est de mettre en avant le travail collectif. J’entends par là, de travailler avec tous les membres du bureau, de les impliquer sur différents sujets. Ainsi, ils sont tous engagés sur un sujet en particulier.

Dans la notion de collectif, je prends également en compte tout le travail de lobbying qui est fait par les Présidents de l’Ordre en région. Les entretiens avec les députés et les sénateurs en local sont également très importants pour pousser les sujets du national, comme pour la reprise des travaux sur la réingénierie. Il est nécessaire que toutes les parties prenantes de l’Ordre soient impliquées dans notre travail.

Comment travaillez-vous avec les institutions ?

Nous travaillons directement avec le ministère de la Santé, les directeurs de cabinet. C’est une collaboration de terrain, qui doit se faire à travers de nombreux échanges. Même si nous n’avons pas pu le mettre réellement en œuvre avec la mise à l’arrêt de la vie politique cet été, c’est bel et bien comme cela que nous l’envisageons maintenant qu’il y a un nouveau gouvernement nommé. Nous espérons pouvoir rencontrer la Ministre et les membres de son cabinet rapidement, notamment pour aborder la nécessité de la proposition de loi sur la refonte de notre profession.

Et avec les représentants de la profession, comment envisagez-vous de collaborer ?

Depuis mon élection, j’ai reçu l’ensemble des représentants de la profession, syndicats et associations. Avec eux, je compte privilégier le dialogue et le partage d’informations. A mon sens, l’Ordre doit fédérer les différents points de vue afin de porter une vision commune de la profession.

Je dois dire que nous avons régulièrement des contacts informels avec l’ensemble des représentants de la profession. C’est-à-dire que nous échangeons régulièrement sur des sujets précis. A l’avenir, j’espère pouvoir mettre en place des réunions ponctuelles sur des sujets d’actualités, ce que nous n’avons pas pu mettre en œuvre jusqu’à présent avec l’arrêt des travaux parlementaires. L’objectif sera de pouvoir échanger et de partager nos différents points de vue.

Concernant l’exercice libéral, quelle vision avez-vous pour l’avenir ?

L’exercice libéral est indispensable au fonctionnement de notre système de santé actuel. En effet, les infirmiers libéraux sont les derniers professionnels de santé à se rendre au domicile des patients. De plus, il n’existe pas de désert infirmier, il serait dommage de se priver d’un tel maillage territorial. Et pourtant, selon les derniers rapports de la CNAM, il y a, pour la première fois depuis de nombreuses années, un tassement du nombre d’installations des Idel. Nous ne connaissons pas encore tous les paramètres, mais il faudra être vigilant à ce que cela ne devienne pas une tendance.

Pour moi, l’avenir des infirmiers libéraux ne peut se faire sans l’exercice coordonné. Les Idel ne peuvent plus se permettre d’exercer de manière isolée et solitaire. Il est nécessaire, pour le bien des patients, que les infirmières libérales intègrent et s’impliquent dans les structures d’exercice coordonné.

Si les infirmiers libéraux pouvaient s’emparer de nouvelles compétences, qu’elles seraient-elles ?

Il y a, avant toute chose, un travail d’information à réaliser auprès des infirmiers libéraux concernant leurs nouvelles compétences. En effet, on remarque que dans certaines régions, l’adhésion est variable. Je parle ici de l’élargissement des compétences vaccinales, des rendez-vous de prévention ou encore de la signature des certificats de décès. Il faut que les infirmiers libéraux puissent s’emparer pleinement de ces nouvelles compétences.

D’un autre côté, il est aussi important que les infirmiers libéraux développent des compétences en matière de gestion de cabinet. Afin de sécuriser leur exercice, les infirmiers libéraux doivent se saisir des enjeux déontologiques, c’est aussi notre devoir de pouvoir les accompagner à travers leur rôle de chef d’entreprise.

Concernant les compétences à développer pour les infirmiers, je pense notamment à davantage d’autonomie. Aujourd’hui, ce sont 7 millions de patients en ALD qui se retrouvent sans médecin traitant. Pour ces patients, les infirmiers libéraux sont des acteurs essentiels. C’est en cela que l’infirmier référent prend tout son sens, il va permettre de maintenir ces patients dans les soins, de leur offrir un accès aux soins et une prise en charge. Le travail de définition des missions de l’infirmier référent avec la CNAM va donc être très important.

De plus, je suis persuadée que la consultation infirmière doit entrer dans notre système de soins. Cela, plus l’accès direct à l’infirmier pour certains soins, comme la prise en charge des plaies, va permettre d’accompagner les personnes vulnérables. Je pense notamment au vieillissement de la population auquel nous allons être de plus en plus confrontés. Aujourd’hui, les infirmiers libéraux sont les premiers témoins du niveau de dépendance des patients. Il faut pouvoir valoriser cela.

Pour conclure, pouvez-vous nous parler des prochains grands projets de l’ONI ?

Il y a bien sûr la réingénierie de la profession ainsi que sa mise en œuvre. Il faudra que l’on soit vigilant à bien reconnaitre les compétences de chacune des spécificités infirmières. Je pense ici aux infirmières puéricultrices, mais aussi aux Ibode et aux IADE, aux IPA ou encore aux infirmières du travail et scolaires. 

Nous devons également nous soucier de la situation des étudiants infirmiers. En effet, on remarque un problème d’attractivité et d’abandon en cours de cursus. Il faut que l’on trouve des solutions pour mieux les accompagner, aussi bien sur le plan financier que sur celui de la santé.

En parlant de santé des étudiants, il nous faut également nous préoccuper davantage de celle des infirmières. La santé physique, sociale et mentale. Il faut que l’on prenne mieux en compte la charge mentale qui pèse sur nos infirmières.

Nous devons également apporter des solutions face aux violences sexistes et sexuelles auxquelles notre profession est largement confrontée. Une enquête avait été réalisée par le ministère, mais elle prenait surtout en compte le point de vue des infirmières salariées. Nous avons donc lancé un observatoire de la sécurité des infirmiers pour recenser les actes de violence envers les infirmiers, quel que soit leur mode d’exercice et j’encourage d’ailleurs les infirmiers libéraux à y participer.

Lien vers l’observatoire de la sécurité des infirmiers : https://www.ordre-infirmiers.fr/observatoire-de-la-securite-des-infirmiers